Mémée est partie, alors que j’étais en pleine mer; elle était déjà en terre bien avant que je n’atteigne la rive… Aujourd’hui, j’éprouve une profonde tristesse, et plus par la façon dont elle est passée de l’autre côté que par sa mort elle-même. Mémée aura survécu un peu plus d’un an en-dehors de sa maison, obligée de la quitter malgré elle suite à ses problèmes de santé, normaux pour son âge, mais surtout à cause de la solitude qui l’habitait. Mémée s’est accrochée à l’espoir de revoir un jour sa murs, les structures de sa vie, mais elle est morte convaincue qu’elle ne les reverrait jamais. C’est la dure réalité, celle qui pèse aujourd’hui sur ma famille, et j’en suis sûr sur tant d’autres.
Si je ne garde pas la nouvelle pour moi, mais la partage aussi avec des personnes presqu’inconnues puisque simplement intéressées par le voyage, c’est parce que je pense que nous tous, occidentaux dits développés, nous avons face à la mort une attitude profondément inhumaine. C’est bien beau de parler voire de se battre pour l’écologie, si le lien le plus élémentaire, celui de la fermeture de la boucle de la vie humaine, ne se referme pas. Quelle honte de mettre au banc de la société les personnes devenues non-rentables pour le système. En fait, elles le restent rentables, en nourrissant des fonds de commerce souvent morbides des mouroirs. Certains diront maison de repos… Peut-on partir en paix depuis un tel lieu? J’ai eu si mal au coeur à chaque fois que j’ai pénétré dans celui justifiant la fin d’existence de Mémée. Je vais trop loin? Pas du tout! J’y ai enlevé de rage des affiches « portes ouvertes pour les journées de l’entreprise » !
Ce n’était plus possible…, il n’y avait pas d’autre solution…, elle nécessitait des soins médicaux,… diront en choeur tous les bienpensants. Bullshit. Merci à tous ceux qui ont soutenu ma démarche quand j’ai proposé d’habiter quelque temps avec elle, peu avant les événement qui la propulseraient au mouroir, mettant alors en balance mon projet de voyage qui se précisait. Ma culpabilité est réelle. Je n’ai pas été assez fort pour contrer les mots raisonnables des bienpensants, ni le refus de Mémée elle-même sans doute mal influencée. Pardonne-moi Mémée de ne pas avoir été assez fort, d’avoir renoncé à ce beau projet et de t’avoir laissée embarquer pour le mouroir. J’ai lu beaucoup de livres ces derniers temps, mais j’ai à peine effleuré la porte de la bibliothèque que tu étais.
Si je partage aussi ceci, c’est parce que j’ai envie de dire que ce n’est pas en fin de vie que les décisions se prennent, plus tard, quand on y sera. On ferait bien d’y penser maintenant, là, tout de suite. Comment voyons-nous la mort? Nos vieux sont-ils heureux? Et si nous passions du temps ensemble, si nous soignions nos relations, si nous anticipons la mort pour faire une place dans notre vie à l’accompagnement de ceux qui nous l’ont donnée.
Vous tous qui me lisez, arrêtez-vous un instant. Et pensez un peu à ce que vivent actuellement nos vieux, et à notre façon d’échapper à la réalité. Le manque de respect est un terme faible pour considérer notre regard plein de compassion pour ces « pauvres » personnes que nous serons tous un jour. Ceux qui ne font rien (puisqu’exclus de la population active) détiennent pourtant le savoir et le recul d’une vie entière. Les réduire au rang de spectateur inutile est abominable. Mais j’espère aussi que nos anciens se révoltent que diable, fassent la bringue dans leurs mouroirs, et regagnent à juste titre la dignité qui est la leur. Alors la mort apparaîtra peut-être de nouveau comme un moment de passage bienheureux.
Pour certains, le texte final choisi lors de l’enterrement a permis de m’inclure quand même dans la cérémonie… Il est très beau, et je le reproduis donc ci-dessous.
Je suis debout au bord de la plage.
Un voilier passe dans la brise du matin et part vers l’océan.
Il est la beauté, il est la vie.
Je le regarde jusqu’à ce qu’il disparaisse à l’horizon.
Quelqu’un à mon côté dit : « Il est parti ! »
Parti ? Vers où ?
Parti de mon regard, c’est tout !
Son mât est toujours aussi haut, sa coque a toujours la force de porter sa charge humaine.
Sa disparition totale de ma vue est en moi, pas en lui.
Et juste au moment où quelqu’un près de moi dit : « Il est parti ! »
Il y en a d’autres qui, le voyant poindre à l’horizon et venir vers eux, s’exclament avec joie : « Le voilà ! »
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Que ce soient les maisons de « repos » ou les « services » gériatriques des hôpitaux, tout cela n’est qu’hypocrisie !! Ils n’ont qu’une seule politique : éviter les frais ! Donc les faire partir au plus vite !
Ce n’est pas non plus pour rien que l’euthanasie est désormais légalisée, c’est encore pour donner bonne conscience à de nombreux « bienpensants ».
Et oui, nos chers petits vieux coûtent cher à la sécurité sociale : soins, médicaments à rembourser, hospitalisation… Ils préfèrent donc s’en débarrasser plutôt que de les avoir à leur « charge »… et déjà rien que ce mot dit tout !!
Tout cela devrait être supprimé !
Que l’on aménage plutôt des services d’habitation communautaire entre jeunes et moins jeunes. Que dans ces habitations, il y ait des lieux à la fois individuels pour respecter la part privée de chacun et surtout communautaires pour permettre tant aux jeunes qu’aux moins jeunes de se rencontrer et de partager entre eux.
La plupart des personnes âgées aiment la compagnie des tout petits et se sentent revivre rien qu’en voyant le sourire d’un enfant. Si elles étaient encadrées par plusieurs familles, elles se sentiraient davantage soutenues et « utiles ». Et les familles auraient certainement aussi plus facile à prendre soin des plus âgés, étant plus nombreux et solidaires.
Il faut que notre société fasse davantage se rencontrer les différentes générations ! Qu’il n’y ait plus ce « choc » des cultures et des générations, mais enfin une véritable « rencontre »! Les plus âgés ne se sentiront, et ne seront plus seuls ni rejetés ssi on leur accorde davantage notre soutien, notre attention et notre confiance!
Such a beautiful text you have there Seba… it makes me cry